Le but de la narration : abstract

Un article qui ne cherche pas à convaincre, ni à persuader. J’énonce ici ce que j’ai compris du pourquoi nous écrivons des livres, pourquoi nous inventons des histoires.

Toute histoire a le même sujet : la vie. Je vois trois fonctions fondamentales de l’histoire : nous faire oublier notre vie, nous faire vivre une autre vie et nous apprendre à vivre.

Bien qu’enchaineés, les trois sont autonomes. Nous voulons oublier nos vies pour faire cesser les sensations désagréables ou douloureuses et nous voulons en vivre d’autres pour créer des sensations positives. Mais la troisième est la plus importante, car elle a pour but de concrétiser les deux premières. Les sources de malheurs seront détruites et la joie découvertes grâce aux connaissances tirées de la narration.

L’apprentissage narratif ne vise pas à détruire les obstacles matériels au bonheur. Tout d’abord parce que c’est le rôle des sciences et technologies. Aussi parce qu’il n’existe rien de tel que des obstacles matériels au bonheur, puisque par définition celui-ci se trouve dans notre tête. L’apprentissage narratif vise à détruire les obstacles intérieurs au bonheur. Ou, plus correctement, à construire une mécanique intérieure qui nous y mène constamment.

« Traitez mon livre comme une paire de lunettes dirigées sur le dehors » Proust

Cette fonction ne peut être remplie par un cours ou un article. Il ne suffit pas de savoir quelque chose pour pouvoir l’appliquer. (Sinon plus personne ne fumerait ni ne serait obèse.) C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Pour apprendre à vivre, nous devons vivre. Mais nous ne pouvons pas prendre le temps de tout vivre, ni le luxe de faire toutes les erreurs.

Nous avons donc besoin de vies synthétiques et conçues pour faire un tour de leur sujet.

Cela est l’objet de la narration.

Les histoires dans les livres, mais aussi au cinéma, et les potins ou leus parlors d’une chanson, toutes les histoires ont cette même mission : nous faire vivre une autre vie. Une simulation qui nous placera autant que possible dans les conditions émotionnelles et physiques de la vie. Nous apprenons ce les réactions possibles en réponses à tel ou tel évenement, ce qui nous permet de mieux l’appréhender lorsqu’il se produira dans notre propre vie.

« Le plus grand livre est celui dont le choc vital éveille en nous d’autres vies » Roman Rolland.

« Une fiction qui ne sert pas à illuminer la vie ne vaut rien. Réciproquement, une vie qui ne s’appuie pas sur l’interprétation qui découle de l’expérience que la fiction lui procure reste à jamais ténébreuse. » Pacôme Thiellement, scénariste de Lost.

Sexualité : Ursula Le Guin, Manchots et extraterrestres

Nous avons besoin d’autrui pour nous reproduire, c’est une contrainte biologique. Elle a structuré notre évolution, notre culture s’est autour de ce fil directeur et il est le moteur de notre psychologie. Et si notre biologie avait été différente ? En quoi notre esprit en serait-il affecté ? Et qu’est-ce que cela nous apprend sur nous-mêmes ?

    Plus il y aura de pierres, plus les femelles seront séduites. Le manchot voisin en piquerai bien quelques unes…Plus il y aura de pierres, plus les femelles seront séduites. Le manchot voisin en piquerai d’ailleurs bien quelques unes…

Quels autres modes de reproductions peut-on imaginer ? Nous le faisons avec une autre personne, donc la première chose est de changer le nombre de partenaires. Les espèces hermaphrodites, et d’autres, peuvent se reproduire avec elle-même. Mais elles ne sont pas intéressantes pour moi. Leur psychologie serait sans doute très différente de la nôtre, mais pourrait-elle atteindre un haut niveau de développement ?

La sexualité est un moteur pour la race humaine. La séduction et l’amour ont de tout temps poussé les hommes à se surpasser. Dans La Main gauche de la nuit, l’écrivaine et sociologue Ursula le Guin décrit un peuple de pseudohumains asexués, qui ne se sexuent, acquiert un sexe masculin ou féminin, que ponctuellement, à certaines périodes, pour la reproduction.) Une des conséquences de cette asexualisation est une extrême lenteur de leur progrès technologique. Au moment du roman, ils ont déjà inventé la radio depuis plusieurs centaines d’années, mais ne sont toujours pas allés jusqu’à la télévision. Leur temps est comme ralenti, débarrassé de ses pulsions. Une espèce sans ces pulsions pourrait-elle seulement dépasser le stade d’amibe ? La compétition sexuelle est au coeur de l’évolution biologique et culturelle. USK contourne le problème en supposant l’espèce avoir une lointaine origine humaine, qui a seulement dû repartir de zéro.

Elle décrit alors la culture, leurs mœurs et même les troubles psychologues qui correspondent à leur condition charnelle. Par exemple, les adolescents ressentent souvent, à l’approche de la puberté, une répulsion maladive pour les adultes. Eux qui ont toujours été asexués, ne laissant que peu leurs relations à autrui interférer avec leur raisonnement, commencent à voir les adultes perdre ponctuellement cette rationalité et se consacrer à ce qui leur semble des rituels bestiaux et absurdes. Et savoir que cela va bientôt leur arriver également provoque en eux un dégout et une rébellion bien compréhensible. Ce n’est que lors de leur première sexualisation qu’ils peuvent comprendre l’amour et l’affection que partagent alors les adultes. (Je ne peux que conseiller de lire Ursula dans le texte, elle en parle évidemment bien mieux que moi.) On pourrait aussi dire que la sexualisation temporaire est une version amplifiée des mensurations que subissent les femmes, et des perturbations de l’humeur qui les accompagnent.

L’intérêt de ces peuples fictifs est pour qu’ils sont à la fois très différents de nous, et en même temps nous parle de nous-mêmes. Cette répulsion que je viens de décrire entretient une relation étroite avec la découverte de la sexualité chez l’être humain, accentuant certains aspects pour mieux les mettre en valeur d’une façon cohérente.

Le problème des partenaires multiples et des sexualités correspondantes est que… eh bien je n’ai aucune idée de comment on pourrait les gérer. Leur description vire généralement à l’orgie, acculturée, qui mérite plus une description zoologique que psychologique au sens humain. (Non pas que j’eus quoi que ce soit contre nos charmants compagnons animaux, mais simplement je n’ai pas les mêmes problèmes mentaux qu’eux.)(Hé, un chien peut-il faire un complexe ? Diantre à qui je pourrais-je demander ça…?)

Bref, je laisse de côté le problème de la sexualité multiple.

Ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est l’idée de changer non pas le nombre de partenaires, mais leur nature. La sexualité et l’amour semblent toujours être une relation de personne à personne, mais c’est aussi parfois une illusion. Il existe des relations de dominations, ou une des moitiés ne s’exprime pas et suit les désirs de l’autre. Il existe des relations de possessions, où l’un exhibe l’autre comme un trophée. Chez l’humain, ces relations sont généralement pathologiques. (Du moins dans nos cultures modernes, je suppose que chez la femme japonaise c’était différent.)

S’unir à quelque chose que l’on ne considère pas comme une personne. Cela pousse à vouloir l’aligner sur nos désirs, à le lier à nous. Si une race consciente pondait des œufs, il ne fait absolument aucun doute à mes yeux qu’elle développerait dès sa préhistoire des peintures sur la coquille, que leur archéologue étudierait ensuite pendant des milliers d’années, tentant de comprendre les vertus conférées à ces « peintures rupestres ». L’amour de l’objet mène également à l’art. J’ignore ce qu’est l’art, je ne vais donc pas développer ce point. Mais cela est également à relier à la pratique du tatouage chez l’être humain.

Je construis en ce moment un roman basé sur ces idées, peuplé d’êtres conscients, profonds, qui dont la culture se sera construit autour d’une sexualité différente.

Et pour conclure, une vidéo fascinante à propos de la sexualité des Manchots. Pour séduire leur partenaire, ceux-ci doivent construire le plus gros nid possible, c’est-à-dire y ramener un maximum de pierres. Mais ce gros travail est évité par certains… en volant les pierres dans les nids voisins ! Sexualité, ingéniosité, malhonnêteté, combats…
Thief Penguins, sur la BBC.

Le Roi Lion : une structure alternée

En re-regardant le classique de Disney, j’ai remarqué une structure omniprésente et très marquée. Les scènes joyeuses et positives, comme une père jouant avec son fils, y alternent avec des scènes négatives, tristes, comme la mort de ce père. Ce chaud-froid semble très efficace pour émouvoir le spectateur, et les films l’utilisant dans diverses mesures sont fréquents. Je me suis demandé comment elle fonctionnait.

Dans le roi Lion, l’alternance est permanente mais pas monotone. Elle commence biaisée du coté positif, avec des scènes négatives douces,  simplement inquiétantes, comme la dispute Scar/Père de Simba. La gravité des situations monte en flèche mais de façon fluide : dispute avec Scar (inquiétude), excursion chez les hyènes (peur pour les personnages), et sommet avec la mort du père (chagrin non seulement du personnage, mais aussi et surtout du chagrin du spectateur).

+++ Présentation du bébé à la foule : gaie, vivante, colorée.
– Dispute avec Scar : inquiétante, morne, grise.
++ Le rapport du matin (chanson seulement en version longue) : joyeuse, drôle.
– Le conseil de Scar : inquiétante.
+++ Esquive de l’oiseau : joyeuse, excitante, vivante.
— Excursion chez les hyènes : effrayante, malsaine à cause de leurs rires, très grise.
+ La réprimande, qui tourne immédiatement à la réflexion philosophique tendre et amante.
– “Soyez prêtes” Scar/hyiènes. Inquiétante et menançante.
—Mort de Père.
— Fuite de Simba.
+++ Hakuna Matatta.
— Nala annonce l’épuisement des ressources du pays des lions
++ Réflexion sur les étoiles
– “Papa tu m’as abandonné” (courte.)
++ Rafikki apprend la survie de Simba et en danse de joie.
Etc.

L’alternance des scènes n’est pas stricte, puis par exemple la réflexion sur les étoiles et le soupir de Simba sont joints. Ce sont les sentiments qui alternent vraiment.
La partie centrale du film remplace la joie par des sentiments plus subtils, comme l’admiration de la beauté de l’univers (scène des étoiles) et l’amour Simba/Nala (Can you feel the love tonight). Cela permet non seulement au film de ne pas s’enliser, mais également de faire cobabiter du positif et du très négatif. La folie du singe Rafikki fait également partie de cette nuance, alliant le positif et le négatif en lui et y répondant par le délire.
En nuançant les sentiments dans une opposition plus riche que juste négative-positive, on évite que le lecteur se sente balloté de haut en bas. Enfin, la scène du voyage vers le rocher est positive (excitation) et se conclut par la scène négative de la dévastation du pays (choquante, triste). On bascule alors dans l’affrontement du positif et du négatif.  (Maman/Scar, puis Simba/Scar). J’ignore comment classer ces scènes, mais il semble logique qu’elles constituent un maillon important d’une trame alternée, permettant à celui de marquer la fin. Il aboutit à une scène de victoire, et le cycle de la vie qui reprend.

La structure du Roi Lion, que je compte prendre comme modèle canonique d’alternance, se synthétise donc ainsi :
—Introduction, avec une  alternance de scènes positives joyeuses et de scènes négatives douces, menaçantes.
— Crescendo, avec une alternances de scènes positives drôle et de scènes très négatives, triste et rageantes.
— Transition, avec une alternances de scènes positives réflexives et de scènes
— Conclusion avec les remous du choc des causes, et fin positive.

Si on devait interpréter la structure non pas vis à vis de sa positivité mais par rapport aux émotions, les quatre parties deviendraient :
— Bonheur/Crainte
— Joie/Tristesse
— Paix intérieure/Cupabilité
— Colère
Et enfin la joie finale, qui est la même que celle du début !

L’écriture et la narration ; sciences.

Écrire. Malgré toute la technologie qu’implique un blog (électricité, électronique, informatique, réseau, serveurs…) l’action de base de l’internet est vieille comme l’Histoire : écrire. C’est la technologie la plus efficace jamais inventée par l’être humain. Dans ce blog, je vais écrire à ce sujet.

Je me pose quelques questions. (Ce n’est pas vrai, ne m’écoutez pas, je me pose BEAUCOUP de questions, et c’est toujours comme ça.)

  • À quoi peut servir une histoire ? (et par la même occasion, qu’est-ce que c’est ? une chanson n’est-elle pas une histoire ? Et une discussion ?) Est-ce une mémoire ? Un apprentissage ? Un moyen de communication ?
  • Comment remplir ce but ? Quels sont les chemins à emprunter ? Sont-ce les personnages qui importent ? Ou bien le sentiment généré chez le lecteur ?
  • Comment écrire, quel est le lien entre les lettres et ce qui est lu ? Les enseignements de la littérature (pas de répétitions, figures de style…) sont-ils un ramassis de connerie et/ou d’habitude non significatives ? Ou bien les neurosciences peuvent-elles nous aider à y voir plus clair ?
  • Comment passons-nous d’une pensée à la frappe des lettres sur le clavier ? (On peut également les tracer sur le papier, mais c’est moins mon domaine…)
  • Et enfin, comment formons-nous des histoires ? Nous sommes revenus à la première question.

Je vais parasiter Clemenceau et dire ceci : l’écrit est un sujet bien trop fascinant pour être laissé aux littéraires. Voyons un peu ce que le reste du monde nous donne à lire sur le sujet ! J’essayerais sur ce blog de réunir et synthétiser tout ce que je découvre sur le sujet.