Brève : “Quête immobile” (800mots)

Nouvelle écrite en 2h au match d’ecriture aux Imaginales 2018. Retravaillée ensuite.
Contrainte : ”C’était dans les cartes”…
800 mots

 

Quête immobile

C’était dans les cartes. Rien ne s’était tout à fait perdu, elle voulait y croire. Il suffisait de chercher, de persévérer, d’écumer cet océan de papier jusqu’à y débusquer la cachette de ce satané trésor sacré.  Elle avait un atout inégalable : une carte de papyrus où une croix nette indiquait la relique. Il y avait peu de texte, seulement le schéma d’un temple, l’esquisse d’une coline proche, d’une montagne au loin… Un prêtre de Kempta avait voulu protéger ses frères du pouvoir de l’artefact, mais un milier d’année n’avait pas révélé le secret qu’il avait emporté dans sa tombe. Lyrinne s’estimait chanceuse de ne chercher le temple que depuis huit ans.

Elle recoupait les informations, à mi-chemin entre le puzzle et le jeu de piste. Elle ne sortait même plus de l’atelier soutterrain où elle avait découvert le plan, étalant à même la roche nue la somme de ses recherches pour tout ausculter à son aise. Elle se sentait chez elle dans ce réseau de galeries empli de vieilles machines et d’établis poussierreux, creusé à même un grès clair, toujours sec et tiède, quelque soit la saison au-dehors.

Trois ans auparavant, elle s’était forcée à replonger brièvement dans le monde extérieur pour d’ultimes informations : elle devait interroger les prêtres de Kempta ou du moins ceux de ses comtemporains fanatiques qui s’imaginaient perpétuer le culte du Feu. Lyrinne les haïssait. Des religieux sacrilèges, pollueurs du Feu éternel, dipalideurs de la beauté du monde ; elle aurait voulu leur cracher au visage, arracher leurs oriflammes et les offrir à la brutalité du feu chaud, abandonnant au banal gel froid leur corps criminel.

Mais la relique passait avant tout.

Pour elle, Lyrinne avait été extêmement polie. Elle avait rédigé à l’avance des questions serviles et flatteuses, avait structuré leur succession pour pouvoir adapter chaque entrevue et collecter un maximum d’information tout en étant prise pour une simple curieuse. Les religieux ne se méfiaient pas, tout cela n’était que mythes pour eux. Leur foi aveugle n’envisageait même pas l’existence réelle de de l’objet divin, sa matérialité inimaginable.

Dans six temples successifs, elle avait suivi son diagramme d’approche, presque une carte de questions, simplement pas éternelle celle-là, et avait déniché dans la mémoire des moines quelques informations complétentaires : le météore était passé au-dessus du temple de Charpre, l’impact avait été entendu pendant la prière à Dunpilane, la terre avait tremblée jusqu’aux iles de Kiepapre… des miettes de savoir. Cachés sous leurs bures blanc-gel, ces annoneurs de cantiques avaient tout oublié des événements fondateurs de leur culte et ne bafouillaient plus que les poncifs du canon de Kempta.

La réponse définitive ne pouvait provenir que des cartes de Lyrinne. Elle les juxtaposait, traçait des trajectoires, fixait des fils, accrochait ses crayonnés, tissait dans leur trame de nouveaux détails géographiques. Telle rivière s’était déplacée depuis l’ancien monde, telle montagne avait explosée et la lave avait ajouté au monde une péninsule tout entière…

Lyrinne devait recoudre l’Histoire pour déchirer le voile du mystère. Les années passaient, elle ne faiblissait pas. A quoi bon de toute façon s’attarder sur un monde extérieur si éphémère ?

Les Hommes étaient plus volages encore que la nature : leurs routes dansaient sur le sol au fil des décennies, leurs villes pullulaient et mourrait au rythme rapide des famines et des guerres,  les noms même de la terre dégéneraient, déformés par le lent machonnement des langues.
Lyrinne se savait humaine , elle aussi,  visage de chair destiné à s’affaisser, poitrine creusée puis crevée par la vermine, os blanchis que l’on écarte du pied. A la viellesse, la maladie ou la main de ses semblables, son corps se céderait et son esprit s’effacerait tout entier, petite chose passante, passable, dissoute bientôt dans le passé, déjà sans avenir…

A moins qu’elle ne trouve la Flamme de Gel.

L’artefact infiniment froid, limite de toute science. Capable de figer la réalité elle-même. La Kempta arretait-elle le temps ? Abaissait-elle la température en desous du zéro absolu ? Ou bien son action était plus subtile, en rapport avec les méandes de ce qui fait l’esprit et l’être, en contact direct avec une nature causale du temps ? Fonder une religion au nom de la Flamme de Gel n’avait pas permis d’en savoir plus et Lyrinne n’en savait pas plus. L’essentiel était ailleurs.

Une seule certitude la guidait, boussole dans une vie sans géographie : le contact de la Flamme brulerait sa vie mortelle et inscrirait son être dans l’éternité. Le Gel chaud la capturerait à l’instant de son triomphe, la rendrait plus solide que l’acier le plus dur et plus immobile que dans la glace la plus froide. A jamais ses traits et ses courbes resteraient pour tous lisibles, sans que jamais quiconque ne puisse plus la souiller.

L’antique papyrus avait résisté aux siècles pour apporter à Lyrinne une plume pour s’inscrire dans le cours du temps lui même. Elle salua ses cartes d’un effleurement de la main, parcourut du regard les engrenages immobiles des mécanismes antiques, soupira en apercevant sur la paroi la mousse nutritive au gout si âcre qui l’avait nourrie la majorité de sa vie adulte. Puis enfin elle se reprit, secoua la tête, ordonna ses pensées, attacha ses cheveux gras en un chignon négligé et redescendit à la surface du papier, entre les lignes et les mots, en quête de sa flamme perdue.

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