Écrire : magie blanche ou magie noire ?

[Ce texte date de février 2012, mais je ne n’avais jamais publié auparavant.]1534712_731975610156786_828923397_o

Beaucoup de livres me semblent, sous couvert de «littérature» ou de «poésie», errer dans une confusion totale entre la magie et la subjectivité. La subjectivité est notre outil, nos lunettes pour percevoir le monde. La magie, c’est quand notre perception est elle-même la réalité, qui est alors modifiée au gré de nos états mentaux.

Un déclic en lisant un livre sur l’écriture…

J’ai compris un truc en lisant le livre Write Away, d’Élisabeth Georges. En ce monde, deux types de lecteurs existent et un gouffre immense les sépare. La plupart des livres sont écrits dans une « pensée magique » que je me refuse simplement à partager.

Dans son livre sur l’écriture, l’auteure américaine de polar explique que le sujet d’un paragraphe de texte peut être explicite ou implicite. Par exemple, si elle dit « les nuages s’écartèrent et le soleil revint. Sur le sol, le corps du Tyran ne bougeait plus. » La description météorologique est en fait une métaphore, qui parle implicitement du sujet du paragraphe.

Vous allez rire mais, soudain, des dizaines d’auteurs que j’avais parcourus dans ma vie et qui m’avaient royalement barbé, soudainement ils se sont mis à faire sens. D’un coup, je comprenais parfaitement des passages auxquels une minute auparavant je ne voyais aucun but, et aucune utilité. Cela m’est encore arrivé aujourd’hui, dans du Guillaume Musso (pourtant pas de la haute littérature !)

Je comprends enfin leur intérêt. Mais j’ai encore moins qu’avant envie de les lire.

De la magie noire

Parce que je ne vis pas dans ce monde-là. Je ne lis ma vie ni dans les astres, ni dans les horoscopes, ni dans le mouvement des nuages. Quand il m’arrive plein de choses pourries dans la journée, je ne dis pas « c’est mon jour de malchance. »

Oh j’en ai envie parfois. Telle chose m’arrive, et je me demande si ce n’est pas un signe que je devrais faire telle autre chose. Mais c’est absurde, car je ne crois pas en Dieu, il n’y a personne pour me faire signe.

Alors si les nuages s’écartent, je ne veux même pas envisager que ce soit à cause du décès d’une personne jugée immorale par nos critères sociaux. Les nuages s’écartent pour des raisons physiques, et savoir lier les causes aux bons effets est une définition, a mes yeux, de la rationalité.

La magie blanche, alias la subjectivité… est le but de l’écriture de roman !

Alors pourquoi ? Cette démarche métaphorique est-elle absurde ? Devrait-on crucifier les auteurs qui la pratiquent ?
Bien sûr, la réponse est non. Il y a une excellente raison de pratiquer cette aberration. Cette raison, c’est la subjectivité.

Nous n’avons aucun accès direct à la réalité. Nos sens nous rapportent des informations, mais ensuite notre cerveau et notre système nerveux effectuent un énorme travail de traitement pour que le monde fasse sens. Les bousculades dans le métro sont-elles insupportables ou insignifiantes ? Cela dépend surtout de votre état mental du moment. Le verre de vodka est-il à moitié pleine ou moitié vide ? Ça dépend : est-ce qu’il vous a couté la fin de votre paye ou bien avez-vous un rendez-vous dans deux minutes ?
Ainsi, notre perception et notre cognition de la vie réelle sont modifiées par notre condition humaine. (Notez que je ne dis pas « modifié par notre humeur du moment », ni « modifié par nos états mentaux ». Car ces termes impliqueraient que des états passagers de notre cerveau déforment une perception de base, qui serait réaliste, ce que je ne crois pas. Notre perception est construite selon des postulats arbitraires.)

Le verre est à moitié plein ET à moitié vide. Les deux en mêmes temps. Mais nous simplifions mentalement les situations et prétendons que le verre est soit l’un, soit l’autre. Parce que nous rencontrons énormément de ces situations a chaque seconde (des que nous voyons ou percevons quoi que ce soit en fait), et qu’elles sont parfois bien plus complexes.

Ce n’est pas un biais, ni une déformation, c’est un microscope à différent grossissement, un télescope capables de prendre des photos infrarouges ou ultraviolettes : pas des déformations du monde, des approches différentes.

Un texte est une oeuvre dédiée à la subjectivité. La force du texte écrit par rapport aux autres médias est de permettre cette représentation des pensées, de l’abstrait.

C’est une pensée magique, car elle croit que les concepts humains comme le bien, le mal, la moralité ou la volonté, ces glissements littéraires font croire que des états mentaux peuvent influer sur la réalité, sans s’exprimer dans des actions. C’est croire à la magie, tout simplement.

Alors faut-il faire de la subjectivité ? (je n’emploie pas le mot « biais », pour la même raison que précédemment.) Mille fois oui.

Mais il faut faire la part des choses. À la mort du tyran, ne pas dire : « les nuages s’écartèrent pour laisser passer le soleil », mais « la lumière du soleil brilla plus fort sur leurs joues ». Il s’agit d’un percept, pas de la réalité.

Il y a des textes ou le parti subjectif est si fort (souvent ce sont des textes à la première personne) que l’altération de la réalité est claire et visible, et ne me gêne pas. Lorsque l’on sait sans ambiguïté que nous voyons tout au travers des yeux d’une subjectivité. C’est ce qui révèle la magie du monde, dans le bon sens du terme !

Mais bien des livres entretiennent une confusion totale entre la magie et la subjectivité, et c’est une confusion vraiment pénalisante pour l’éveil du lecteur. Son éveil à la réalité « objective » mais aussi, et surtout, un frein à l’éveil à sa propre subjectivité. Ce qui est un des buts ultimes d’un roman, à mon avis.

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