Nous avions fait ce match en ayant en tête l’appel à texte d’une maison d’édition. La contrainte était que la première phrase soit “Une fumée épaisse recouvrait le village”, en 3500 mots maximum. J’ai eu du mal à descendre sous cette limite !
Version 1-6 du texte.
Le Poison de la peur, par Fabien
Une épaisse fumée recouvrait le village. Au pied de chaque porte, sous chaque volet clos, un brûloir rougeoyait de flammes sombres. Leurs volutes obscurcissaient l’air. Leur puanteur âcre était leur raison d’être : elle repoussait les serpents.
La jeune Alice était claquemurée dans l’une des cahutes, avec trois adultes depuis deux jours. Grand-mère et Maman se disputaient souvent, Papa restait assis le regard vide à côté de la fenêtre, son glaive prenant la poussière contre le mur.
Tous tendaient l’oreille, frissonnant plus fort à chaque fois que les crissements s’amplifiaient.
— Il doit faire au moins quatre mètres, chuchota une fois Grand-mère.
Maman fronça les sourcils. Il fallait éviter tout bruit. Grand-mère avait pourtant l’habitude, elle avait vécu bien des saisons à serpent. Une tous les six ans. Le danger était connu, le charbon et la poudre d’Arkim brûlaient comme chaque année pour les sauver. Mais jusque là, les serpents étaient normaux.
Quand Papa se leva pour aller sur le pot. Alice prit sa place devant le volet. Deux planches disjointes laissaient entrevoir le monde au-dehors.
Rien n’avait bougé. La pinte de bière posée sur le banc, la charrette de paille au milieu du chemin. Et, rampant tous dans la même direction, les innombrables petits reptiles sur le sol.
Un crissement plus marqué se fit entendre. Alice n’osa pas bouger.
Naga émergea de la fumée.
C’était un serpent grand comme un homme, à la peau difforme, aux écailles vertes et rouges. Sa gueule montrait trois crocs luisants de poison. Le monstre n’était pas qu’une bête : à son arrivée lors de la dernière saison, il avait emporté les plus beaux bijoux de la famille Désom. Après les avoir mordus et laissés en pâture à ses congénères.
Alice se sentit arrachée à son poste d’observation. Elle lâcha un cri. Une main se plaqua sur sa bouche, des bras l’immobilisèrent.
— Chh ! lui intima son père.
Le grand Naga passa, lentement.
Alice fut relâchée. Mais la frayeur avait déchainé sa rage.
— Pourquoi on le combat pas ? Les bandits quand ils viennent on les laisse pas faire !
Ses parents la foudroyèrent du regard en silence. Enfermée, muselée, ignorée, la colère d’Alice redoubla.
Dès qu’ils eurent le dos tourné, elle prit le glaive, se glissa jusqu’à la porte d’entrée et la déverrouilla. Le cri étouffé de sa mère ne la ralentit même pas : déjà elle avait décroché un brûloir et s’éloignait. Parmi les serpents. Seulement alors la terreur l’envahit.
Elle resta pétrifiée, seule dans la masse grouillante que son brûloir ne repoussait que lentement. Quand elle releva les yeux, elle vit ses parents à la fenêtre. Et Naga qui ondulait vers elle. Elle ne réfléchit pas, elle lança avec fureur l’arme tranchante.
Le glaive fusa… avant de tomber contre le grand Naga, poignée la première. Mollement.
Et le pommeau s’enfonça dans la peau. Sans la déchirer. Un cri tout à fait humain s’éleva.
Alice resta interdite. Malgré la fumée, des brûloirs et plusieurs paires de grosses bottes se devinaient désormais à la base du serpent, ou plutôt à la base du costume de serpent. Et des mains. Affairées à remettre dans un sac, dont il venait de tomber, tout un butin de bijoux précieux.
Elle chercha la réaction de ses parents. Mais ils n’avaient d’yeux que pour la cheville d’Alice. Et, comme elle le découvrit, pour le petit serpent vert qui venait d’y planter ses crocs.