Séance 20 : le cadre pour ambiance

 

Bonne nouvelle

Les murs étaient peints d’un bleu vif, surréaliste, celui-là même dont les graphistes affublent le ciel dans les publicités pour les vacances à la mer. Dans les coins, des nuages gris ternes tendaient à apparaissaient à mesure que le temps faisait son œuvre, mais des couches de peinture récentes gardaient vaillamment le panorama presque immaculé, et le conserverait sans doute ainsi indéfiniment.  Des tableaux photographiques étaient accrochés un peu partout, fenêtre ouvertes sur le monde qui agrandissaient autant l’espace que ne le faisait les grandes baies vitrées.  Il y avait ainsi en ces lieux en plus de la petite arrière-cour aménagée pour prendre des apéritifs, un champ de blé dorant sous un soleil de midi, une gare allemande recouverte de graffitis montrant des femmes, des cœurs, ou encore le visage en aplats noir et blanc d’un adolescent dévasté, sans doute en train de découvrir les plaisirs de la vie et de la maturité.

La forme en U de la pièce semblait fantaisiste, comme une plaisanterie de l’architecte. Derrière le petit bar, dans le bras droit de la salle, des alcools avait été soigneusement alignés et attendait les soirs de fête, quand il faudrait servir à la volée des dizaines de convives.

Je vais te tuer

Le rugissement des voitures sur la chaussée était terriblement lointain, supplanté même par les impacts des gouttes d’eau dans l’évier. La salle était encombrée d’un labyrinthe de chaises, de tables et de plantes, et les tableaux aux murs semblaient prêts à se décrocher, à tomber et à assommer les imprudents. La saturation de l’espace rapprochait les murs et le plafond, pour former en une petite boite de conserve dont le couvercle s’était refermé sur Eliot. Les parois peintes trop lisses n’offraient aucune prise, la lumière trop crue n’avait aucun attrait, elle ne cachait rien de la moquette délavée et sans intérêt, une vielle moquette industrielle, sans doute rugueuse, entre les fibres, emplies de poussière.  Les vitres incassables ne montrent qu’un extérieur inaccessible, glacial.

Bonne nouvelle, monologue intérieur

Raccrocher. Mais garder le téléphone en main. Ne pas faire l’erreur de le poser, ne pas tout gâcher. Le soleil brille, j’ai du temps devant moi, je suis assis, au chaud. Tout est bien, tout a toujours été parfait, tout n’a été qu’entrainement pour faire de moi quelqu’un prêt à saisir ce bonheur à pleine main, tout est justifié.

Cela valait la peine de faire des efforts, de se relever après les coups. Même quand cela avait l’air de ne plus avoir de sens, en fin de compte, cela en avait, c’est évident à présent. Tu souris béatement Eliot. Bah, on s’en fiche, c’est bon de sourire, de se laisser aller. Tout se passerait bien maintenant. Il y a beaucoup de travail bien sûr, mais chaque tache sera une note de musique et leur symphonie coulera d’elle-même, fracassante et grandiose.  On sera heureux, ensembles, chez nous. Un nid douillet ! Au fond j’ai toujours pensé que c’était ce dont j’avais besoin. Si j’ai voyagé, c’était juste pour mieux apprécier de m’installer. On pourra peindre la chambre du petit en bleu, un beau bleu azur qui libère l’esprit. Chaque pièce aura sa couleur : de la joie rose pour la chambre, de la gourmandise orange pour la cuisine et de la concentration blanche pour le bureau. Peut-être même un motif géométrique, avec de grandes lignes pour se projeter en avant, avoir des fulgurances. Quelle efficacité j’aurais la journée au travail, en sachant qu’une maisonnée pareille m’attend !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

code