Terres Ascendantes : Chapitre 3 (1153 mots)

Chapitre 3 : Le fils d’une femme solitaire ; par la mère

Timmy s’est toujours surpassé. Il est le digne fils de son père. Plus que ça même. Déjà tout petit, il n’avait de cesse de m’étonner. Nous vivions dans les plaines désertiques de l’ouest, à l’écart de toute présence humaine. C’était ma faute bien entendu, je ne pouvais tout de même pas me montrer en public. La marque de l’infamie ne disparaîtrait jamais de mon front. Deux lignes courbes entremêlées, inscrites à jamais dans ma chair par le métal incandescent. La marque de la honte. Je suppose que nous devons tous porter le poids de nos erreurs passées, mais j’ai toujours détesté l’idée que mon fils les subisse lui aussi.

Mais Timmy était un enfant ingénieux. Mon exil me condamnait à travailler sans cesse pour notre subsistance, principalement de petits animaux que je parvenais à attraper dans la plaine. Mon fils fut donc assez mal nourri dans ses premières années, mais parvint tout de même à forcir. A un an, il commença à marcher. A trois, il exigea à force de cris répétés de m’accompagner à la chasse. Un an plus tard, il rapportait plus de nourriture que moi à la maison. Il commença à chasser seul.

Il devait approcher de sa cinquième année lorsque je décidais de ne plus chasser pour rester à la maison m’occuper de toutes les taches ménagères, décision qu’il approuva avec tout ce qu’il connaissait de vocabulaire. Adorable et étonnant bambin. Nous n’habitions pas un palace, loin de là. Notre tente nous servait depuis la mort du père de Timmy, six ans auparavant. Elle était déchirée en certains endroits, grossièrement raccommodée avec des bouts de fourrure pris à nos proies. Elle n’était pas très grande, mais cela suffisait pour dormir avec un enfant de bas age. A présent qu’il avait grandi et que j’avais un peu de temps libre, j’entrepris de m’occuper un peu plus avant des fourrures, pour qu’elles n’empestes plus l’intérieur, et je renforçais l’armature du tout. Avec difficulté, je fabriquais dans de grosses branches deux assiettes de bois qui nous évitèrent bien souvent de manger de la poussière. Mais, peu douée, je cassais notre seul couteau de bronze en m’attaquant à un morceau trop dur…

La nourriture n’était pas la seule chose dont mon bébé était privé de par ma faute : dans notre isolement Timmy n’avait aucun camarade pour jouer avec lui. Que lui importait : alors qu’il avait quatre ans, je le surpris à jouer avec un lapin qu’il avait à demi apprivoisé et qu’il appelait Lapo… Celui-ci mourut deux ans plus tard et, après avoir pleuré toutes les larmes de son petit corps, Timmy insista pour l’enterrer correctement. Ce fut son tout premier enterrement. Il ne connaissait alors la chose que parce que je lui avais déjà montré des tombes à l’occasion. Encore aujourd’hui, il lui arrive de verser une larme devant la sépulture de celui qui fut son seul ami pendant sa tendre enfance.

Mon fils était véritablement ingénieux. Il pensa à tailler grossièrement des éclats de pierre pour effectuer des taches de découpage basique, ce qui se révéla très utile. Vers cinq ans, il partait seul, parfois pour plusieurs nuits d’affilées, pour traquer de gros gibier. Peut-être son expérience avec ce lapin l’aida-t-elle à mieux comprendre les animaux ? Je l’ignore. Toujours fut-il qu’il me ramena des biches et même, à plusieurs reprises, de gigantesques oiseaux. Il les assommait en leur lançant des pierres, me dit-il. Devant mon étonnement, il m’expliqua, aussi clairement que c’était possible avec le peu de mots que nous connaissions, qu’il était très difficile d’atteindre l’oiseau en plein vol, mais qu’on pouvait l’atteindre au moment où lui-même fondait sur sa proie. Il me montra comment il capturait un petit rongeur et l’attachait à un rocher, l’entaillant pour attirer un oiseau de proie. La manœuvre échouait fréquemment car d’autres prédateurs venaient lui ravir son appât, félin et autres carnivores trop dangereux pour qu’il s’y attaque. Quand j’y repense je réalise que, déjà à cette époque, j’avais totalement oublié qu’il n’avait que six ans.

Comme ses talents de chasseurs nous nourrissaient bien, nous nous essayions fréquemment à de nouveaux goûts. Je m’entraînais à repérer les meilleurs temps de cuissons de chaque viande. J’avais vu Timmy marcher des herbes pour tromper la faim, il me suggéra bientôt d’en mélanger certaines avec nos repas, ce qui se révéla évidemment une excellente idée. Lorsque le goût s’avérait trop fade, nous ajoutions quelques plantes qu’il avait repérées et qui donnaient une nouvelle dimension à la nourriture.

Il insista rapidement pour m’assister dans les taches ménagères, m’égalant en qualité si ce n’est en quantité. Il parvenait à chasser le jour et à garder assez d’énergie pour s’occuper du foyer. Mais cela devint bientôt gênant : il ne me restait rien à faire ! Il me rit au nez lorsque je lui le fit remarquer et, du haut de ses sept ans, me suggéra de faire tout ce qui me ferait plaisir.

Ce que je fis. Dans le bois qu’il me coupait en foret je sculptai la silhouette des animaux qu’il nous ramenait. C’était ce que nous devions appeler plus tard des bas-reliefs. Tout dévoué à sa mère, mon amour m’encourageait à représenter les choses avec toujours plus de détails. J’appris peu à peu à repérer ce qui différenciait chaque espèce des autres, et à mieux le représenter.

Un jour Timmy dessina une bouche sur la plaque de son animal préféré. J’en fis autant sur celui que je préférai. Un peu plus tard, il fit une bouche sur un autre animal. Puis, réalisant qu’il y avait des bouches sur les deux, il en rajouta une seconde sur celui qu’il préférait. Nous prîmes ainsi l’habitude de noter nos aliments, montant parfois jusqu’à cinq bouches…

La sculpture, au départ activité anodine, finit par me demander de plus en plus de temps et d’énergie. Je représentai chaque plume des oiseaux, imitait le profil poilu des autres… Nous étions très fiers de mes sculptures. De plus, si Timmy s’était investi à fond dans la chasse puis dans notre foyer au point de me chasser de ces activités, il ne voulut jamais s’attaquer à la sculpture. Pas une seule fois. Pour ses sept ans, il m’avoua qu’il ne se sentait pas assez d’énergie pour investir dans cette minutie, qu’il avait trop de choses à penser pour réfléchir à la beauté. Que de jugement avait mon chérubin alors qu’il n’avait pas dépassé sa dixième année ! J’en étais soufflée.

Mais au final, ce furent ces sculptures qui permirent à mon enfant bien aimé d’aller de l’avant. A mon plus grand étonnement d’ailleurs. Nous n’avions aucune notion de que pouvait être l’art : certaines choses étaient belles, d’autres non, mais cela n’allait pas plus loin. Quant à la valeur de ces choses, le concept ne nous effleura même jamais, nous qui vivions en autarcie.

Alors que Timmy avait approchait de sa neuvième année, la silhouette d’une caravane se profila à l’horizon.

(La suite dans le chapitre 4)

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